L’IFRS 16 est sans aucun doute l’une des innovations les plus significatives du cadre comptable international de ces dernières années et se caractérise par un niveau considérable de diffusion qui, combiné à une certaine complexité, soulève de multiples points d’attention pour les professionnels, qu’ils soient rédacteurs ou lecteurs/utilisateurs des comptes. Voyons les questions auxquelles il faut prêter attention et l’impact que l’IFRS 16 peut avoir.
IFRS 16 : est-il toujours facile de déterminer un contrat de location ?
Selon l’IFRS 16, un contrat est, ou contient un contrat de location si, en payant une contrepartie prédéterminée, une entreprise obtient :
- le droit de contrôler et d’utiliser un actif spécifique pendant une période déterminée afin d’obtenir
- les bénéfices économiques découlant de l’utilisation de cet actif sur la durée fixée.
L’élément central est donc la possibilité de bénéficier – contre le paiement d’une contrepartie prédéterminée – des avantages économiques découlant du contrôle d’un actif donné pendant une durée déterminée. Dans la pratique, cette définition simple peut ne pas être immédiatement réalisable.
Contrat de crédit-bail : où peut-il être comptabilisé ?
Un contrat de crédit-bail peut, par exemple, être facilement comptabilisé dans le cas d’un bail immobilier par lequel un locataire, moyennant le paiement d’un loyer fixe, obtient le bénéfice de l’utilisation d’un certain espace immobilier dont il a la jouissance pour en disposer librement conformément aux règlements et conditions d’utilisation applicables visant à préserver le bien lui-même. Dans d’autres cas, notamment dans le domaine des processus industriels, ce n’est pas aussi simple. Prenons le cas d’une société de production qui a délégué une étape de son processus de production à un tiers. Le sous-processus nécessite l’utilisation d’une usine pour laquelle la question se pose de savoir si le sous-traitant peut être configuré comme un contrat de crédit-bail ou non. La réponse est facilitée par l’organigramme décrit au paragraphe B31 de la norme IFRS 16, qui présente les questions clés à poser pour évaluer si toutes les conditions nécessaires pour un contrat de crédit-bail sont réunies.
Tout d’abord, il faut évaluer si le sous-traitant utilise un actif spécifique pour mettre en œuvre le contrat signé avec le sous-traitant. En présence d’un contrat d’externalisation, il se peut que non seulement l’usine soit spécifique, mais qu’elle ait été construite ou modifiée spécifiquement pour répondre aux besoins du sous-traitant, auquel cas ce premier examen conduirait à l’identification d’un contrat de crédit-bail. Toutefois, ce n’est pas toujours le cas, car le sous-traitant peut disposer d’une capacité de production supérieure à celle nécessaire pour rendre le service attendu et c’est donc au sous-traitant de décider quelle ligne de production activer pour fournir le service qui lui est demandé, auquel cas la configuration d’un contrat de location serait contestable.
Cette deuxième hypothèse est typique des situations où le donneur d’ordre n’est pas le seul client du sous-traitant. En d’autres termes, si le sous-traitant ne reçoit pas la quasi-totalité des avantages découlant de l’utilisation de cet actif, il n’y a normalement pas de contrat de crédit-bail. Mais le véritable élément distinctif pour comprendre s’il y a un contrat de crédit-bail ou non finit par être la vérification de qui a le contrôle de l’actif. Dans un contrat de fourniture de biens et/ou de services, le contrôle de l’actif est une prérogative du fournisseur, qui décide de la manière d’exploiter la structure, à ses propres risques et sous sa responsabilité, afin d’exécuter son obligation contractuelle envers le client.
Le fait que le client puisse avoir donné des instructions précises sur les caractéristiques du produit requis ne doit pas non plus induire en erreur ; cela ne signifie pas que le client ait le contrôle des actifs utilisés pour fabriquer ce produit selon les spécifications données.
Ainsi en présence d’un contrat d’externalisation, même s’il existe un actif déterminé et que tous les bénéfices sont perçus par le donneur d’ordre, il ne devrait pas y avoir de contrat de crédit-bail dans la mesure où les décisions opérationnelles et par conséquent la responsabilité et les risques de la gestion de l’actif incombent au sous-traitant. A cet effet, le paragraphe BC123 est assez éclairant, puisqu’il définit comme élément discriminant aux fins de l’identification d’un contrat de crédit-bail la capacité du donneur d’ordre à modifier à sa discrétion les consignes d’utilisation de l’actif, plaçant le sous-traitant dans le rôle de simple exécutant – qui, le cas échéant, pourrait tout au plus exiger une révision de la contrepartie d’une éventuelle modification de l’étendue des travaux – d’une volonté exprimée par le donneur d’ordre à laquelle il ne pourrait opposer un refus (BC 117 IFRS16).
En résumé, la définition d’un contrat de crédit-bail dans de telles circonstances n’est en aucun cas univoque et résulte d’une analyse approfondie du contrat conclu entre les parties et notamment de leurs zones d’intervention respectives et de la répartition des rôles et des responsabilités entre les parties. L’IFRS 16 exige donc une analyse minutieuse des contrats, en veillant à ce que, en premier lieu, les unités organisationnelles requérantes et, en second lieu, la fonction approvisionnement vérifient l’existence ou non de contrats de crédit-bail dans les transactions conclues, sans laisser cette activité à un contrôle ultérieur de la fonction administrative, qui est toutefois nécessaire.
IFRS 16 et IAS 36 : test de dépréciation du droit d’utilisation
En ce qui concerne le droit d’utilisation, il convient de noter d’emblée qu’il est inextricablement lié au passif locatif. Cette dette locative est considérée comme un passif financier, comme le montrent les dispositions de l’IFRS 16 qui exigent la classification des remboursements correspondants dans le flux de liquidités des activités de financement, conformément aux dispositions du paragraphe 50.a) de l’IAS 36, selon lesquelles les flux de liquidités correspondants doivent être exclus du calcul de la valeur d’utilité comme tous les flux de liquidités liés aux passifs financiers. Par conséquent, les redevances locatives ne doivent pas être prises en compte dans le calcul de la valeur d’utilité car elles représentent le remboursement du passif financier qui doit être exclu de la détermination de la valeur d’utilité.
Ceci dit, bien que le paragraphe 33 de l’IFRS 16 exige explicitement que le locataire applique les dispositions de l’IAS 36 pour vérifier la recouvrabilité du droit d’utilisation comptabilisé, il faut tenir compte des particularités incontestables du droit d’utilisation, qui est non seulement un actif étroitement lié à son passif locatif, mais également incapable de générer des flux de trésorerie indépendants. Il s’ensuit qu’en raison de l’absence de génération de flux de liquidités autonomes, le droit d’utilisation analysé doit être agrégé à d’autres unités génératrices de trésorerie ou doit être configuré comme un « actif d’entreprise » dont la valeur recouvrable est liée au complexe d’unités génératrices de trésorerie (UGT) qui constituent l’entreprise.
Comment réaliser le test de dépréciation
L’agrégation doit donc être fondée sur la capacité de l’entité à affecter le droit d’utilisation, sur une base raisonnable, à la plus petite UGT à laquelle le droit d’utilisation peut être agrégé. À titre d’exemple, si une entité loue un bâtiment dans lequel se trouvent ses trois divisions opérationnelles, si elle est en mesure d’attribuer le droit d’utilisation à chaque division sur une base raisonnable (par exemple, surfaces occupées à condition qu’elles restent stables dans le temps, ce qui n’est pas toujours facile), il s’ensuit que le test de dépréciation sera effectué au niveau de chaque division, c’est-à-dire de l’UGT unique. Si ce critère n’existe pas (ce qui est très probable lorsque les surfaces sont régies de manière centralisée et non par la division distincte), l’UGT de référence correspond à l’entité dans son ensemble et le test de dépréciation doit donc être effectué au niveau de l’entité globale.
En résumé, la mécanique de l’exercice de dépréciation détermine la comparaison de la valeur comptable (valeur comptable nette) de l’UGT, y compris la valeur comptable du droit d’utilisation, avec les flux de trésorerie actualisés produits par l’UGT sans tenir compte des paiements de location attendus.
Il est clair que dans cette perspective, le taux d’actualisation à adopter pour la définition de la valeur d’usage doit être déterminé de manière cohérente en tenant compte des effets découlant de l’adoption de l’IFRS 16 ; En particulier, dans un modèle de définition du taux d’actualisation basé sur le coût moyen pondéré du capital (WACC), ces effets sont corroborés par une augmentation de l’effet de levier, ce qui implique, d’une part, une augmentation du « poids » de la composante du coût de la dette (généralement moins onéreuse que la composante des fonds propres) et, d’autre part, une augmentation du bêta endetté avec une augmentation conséquente du coût de la composante des fonds propres. L’effet combiné n’est pas facile à prévoir et, par conséquent, l’augmentation de l’effet de levier associée à l’application de l’IFRS 16 n’entraîne pas nécessairement (comme on pourrait le penser à première vue) une réduction du coût moyen pondéré du capital.
Enfin, une mention de la valeur de marché, à retenir dans le calcul de la valeur recouvrable – si elle est supérieure – comme alternative à la valeur d’utilité. Une manière possible de l’évaluer pourrait consister à estimer – aussi par le biais d’une expertise spécifique par un conseiller immobilier, qui exprimera nécessairement un loyer de marché inclus dans une fourchette de référence – la valeur de marché du loyer à la date du test de dépréciation (c’est-à-dire la date de clôture des états financiers) pour un contrat comparable à celui qui a produit le droit d’utilisation inscrit dans les comptes. Sur la base de cette redevance, le droit d’utilisation exprimé en valeur de marché doit être déterminé et comparé à la valeur comptable. Il faut noter d’emblée que cette valeur de marché – sur la base de cette expertise – sera exprimée dans une fourchette, de sorte qu’il semble risqué de se contenter de comparer la valeur moyenne de la fourchette avec la valeur comptable, alors que si la valeur comptable se situe à l’intérieur de la fourchette (même en dessous de sa valeur moyenne), il n’y a peut-être pas lieu de prévoir une dépréciation.
L’IFRS 16 a donc introduit de nombreuses nouveautés qui ont des répercussions importantes sur les comptes des sociétés, notamment le contrôle de la valeur recouvrable selon IAS 36. Les états financiers de fin 2019 constituent le premier test de la coexistence des normes IFRS 16 et IAS 36.
IFRS16 : les impacts sur le preneur
Afin d’améliorer la transparence économico-financière des comptes, l’IASB (International Accounting Standard Board) avec le standard comptable “IFRS16 – Lease” a imposé au preneur de comptabiliser les contrats de location simple et les contrats de location-financement sans aucune différence. Plus précisément, l’impact des contrats de location simple (actuellement gérés hors bilan) et des contrats de location-financement sera clairement visible dans les bilans d’entreprise, en détail :
- Inscription au bilan du Droit d’Usage à l’actif contre inscription au passif de la dette contractée pour l’usage du bien ;
- Enregistrement, au compte de résultat, du montant des intérêts, avec une augmentation correspondante de la dette ;
- Enregistrement, au compte de résultat, du montant des amortissements, avec une augmentation conséquente du fonds d’amortissement ;
- Réduction de la dette contre des paiements échelonnés dans le temps.
Les impacts économiques opérationnels et financiers peuvent être considérables dans le cadre des réalités de l’entreprise, car ils concernent potentiellement un nombre élevé d’objets « pris en leasing / loués » à des tiers, comme par exemple :
- Immeubles commerciaux et résidentiels ;
- Parc automobile ;
- Matériel informatique (Serveurs, photocopieurs, imprimantes, PC, etc.) ;
- Équipements industriels (chariots élévateurs, machines, etc.).
Par ailleurs, d’un point de vue stratégique, la norme IFRS16 impose une réflexion sur la manière de disposer d’un actif : achat ou location ? Les clés pour analyser et gérer correctement ces innovations sont les suivantes :
- Réaliser une cartographie précise des processus, en identifiant toutes les responsabilités impliquées ;
- Se doter d’outils IT permettant de gérer couramment les dimensions contractuelles fondamentales qui impactent IFRS16.
- Évaluer les impacts, les changements de processus et d’infrastructure.
Lors du choix de l’outil IT de gestion des contrats, les principales exigences doivent être les suivantes :
- Configurabilité du système, en termes de différents types de biens/services gérés;
- Interopérabilité entre les différents départements impliqués : en général, il n’y a pas de point unique de gestion des contrats au niveau de l’entreprise, mais plusieurs départements sont impliqués ;
- Évolutivité du système, compte tenu de la variabilité des contrats dans le temps.
Un outil ad hoc pour la gestion des contrats permet d’obtenir données et processus cohérents au niveau de l’entreprise, ce qui est une condition nécessaire pour les évaluations opérationnelles et stratégiques.